Le vélo

Tout un rayon d’enjeux

Patrick, formateur du Collectif cycliste 37 encadre le vélo école de l’association. Photo : Maël Prevost/EPJT

Tours est dans le top 10 des meilleures villes françaises pour les cyclistes, selon le ministère de la Transition écologique. Pourtant, de l’avis des associations comme des élus, il reste du chemin à faire. La municipalité s’attaque aux aménagements tandis que des collectifs essayent de faire évoluer les mentalités.

Par Laura Blairet et Maël Prevost

Un, je lève le bras. Deux, je jette un coup d’œil par-dessus l’épaule. Trois, je me mets au milieu de la route et je tourne. » Patrick, formateur au Collectif cycliste 37 (CC37) pousse la voix pour donner les consignes en même temps qu’il pédale. Derrière l’instructeur suivent Dounia et Nahomie, perchées sur des vélos de ville,.

Elles portent un gilet jaune siglé « Vélo-école ». Sur la promenade des bords du Cher, dans le sud de Tours, elles sont une dizaine, mères de famille ou retraitées, venues apprendre, réapprendre ou se perfectionner dans la pratique du vélo. Au programme du jour : améliorer les virages, l’arrêt et la conduite à une main.

« La technique est bonne », lance Patrick à Nahomie qui négocie un virage serré autour d’un plot. « Les freins Dounia, les freins, les freins ! » Et c’est la chute. Dounia se relève : « C’est pas ça qui va me faire arrêter », bougonne cette mère de quatre enfants. Elle remonte aussitôt en selle.

Pour elle, le vélo est une émancipation et une nécessité : « Les bus sont souvent en retard. Pour aller chercher les enfants à l’école, c’est compliqué et j’ai besoin d’être plus autonome. Je prends confiance petit à petit, mais j’ai peur de la circulation. »

Dounia apprend à tourner en sécurité pendant son cours de vélo-école avec le Collectif cycliste 37. Photo : Maël Prevost/EPJT

Les bourses à vélos, à Tours, sont organisées par la mairie et des associations plusieurs fois dans l’année. Vidéo : Maël Prevost/EPJT

C’est pourtant elle qui insistera pour faire le trajet retour en passant par les grands axes de circulation. Sur le pont du Sanitas, les bus et les camions frôlent les élèves de la vélo-école. Elles circulent sur le côté droit de la route surélevé de seulement quelques centimètres par rapport aux véhicules à moteur.

« À Tours, l’environnement est favorable à la pratique du vélo. Mais nous voulons des aménagements de qualité », explique Fabien Frugier, chargé de développement au CC37, qui pédale derrière le petit groupe.

L’association a d’ailleurs attiré l’attention sur le pont du Sanitas et sa dangerosité pour les cyclistes. La Métropole s’intéresse à l’aménagement de cet axe structurant de Tours, inclus dans le projet d’aménagement de nouveaux itinéraires cyclables qui doivent être développés à l’horizon 2026. Deux sont déjà en cours d’aménagement et cinq autres ont été soumis à la concertation, en décembre 2023. L’objectif est d’offrir des itinéraires plus sécurisés qui quadrilleront à terme l’ensemble de la métropole.

Le libre-service débarque à Tours

Courant 2024, les vélos bleus de Pony devraient être disponibles dans la métropole. L’entreprise prévoit d’y déployer 1600 bicyclettes. Ce service repose sur du semi free-floating, autrement dit les vélos ne devront pas être déposés à des bornes, mais dans des zones délimitées au sol. « Dans les villes de la taille de Tours, il y a une attente des habitants pour ce type d’offres, explique Guillem Leroux, responsable des relations publiques de Pony. C’est un service de mobilité supplémentaire. » L’entreprise, née à Angers en 2017, a déjà semé ses vélos dans 20 villes européennes.

Des efforts ont déjà été faits pour améliorer la place du vélo à Tours. Le Collectif cycliste 37, qui regroupe des usagers réguliers de la bicyclette, observe cette évolution depuis 2020. Les responsables de l’association font le lien avec l’élection d’Emmanuel Denis, maire écologiste : « On change de municipalité et tout est possible », salue François Sarrasin, le vice-président de l’association.

Le collectif a donné son avis sur les itinéraires cyclables mais « il reste des portions à améliorer, parfois, les solutions proposées peuvent être aberrantes », poursuit son vice-président. Pour lui, un point noir sur un trajet peut décourager le cycliste sur toute la longueur d’un parcours. 

Il y a donc un enjeu à créer des aménagements adaptés pour encourager la pratique du vélo. Dans son bilan de mi-mandat,

publié le 8 janvier 2024, l’équipe municipale dit vouloir « résorber les points noirs cyclistes d’ici à 2030 ». Comme une envie de faciliter au maximum la pratique du vélo à Tours.

Tours est la septième ville de France où il fait bon d’être cycliste d’après les usagers, selon une étude du ministère de la Transition écologique publiée en 2022. Et la ville est bonne élève en termes d’aménagements cyclables : 18 kilomètres pour 10 000 habitants contre 8 pour la moyenne nationale.

Dans ses recommandations techniques, le ministère de l’Écologie met en avant un aménagement : la piste cyclable séparée physiquement de la chaussée empruntée par les voitures.

Cette infrastructure est la seule efficace puisqu’elle « améliore la sécurité ressentie des cyclistes, ce qui renforce l’attractivité du réseau cyclable ». Pourtant, à Tours, ce type de piste représente moins de 20 % des aménagements cyclables.

Or, la sécurité est au centre de la crispation autour de la pratique. Un quart des Français, qui n’utilisent jamais ou rarement leur vélo, attendent des pistes cyclables plus nombreuses et plus sécurisées pour se mettre en selle si on en croit une étude du ministère de la Transition écologique de 2016. En 2019, seuls 3 % des déplacements au sein de la métropole tourangelle s’effectuaient à vélo, comme le souligne le Syndicat des mobilités de Touraine.

Les chiffres semblent en augmentation, conséquence de la

Un pôle pour fédérer l’économie du vélo

La localisation est symbolique : le rond-point Saint-Sauveur, conçu « à la néerlandaise » pour donner la priorité au vélo, est tout proche. Priorité aussi au vélo dans la zone d’activité du Menneton. C’est là qu’émerge un pôle vélo voulu par la ville. Trois entreprises vont s’y implanter. D’abord Cyfac, constructeur de vélos sur-mesure, en acier ou en carbone, dont le savoir-faire est reconnu dans le monde de la petite reine. Ensuite Veloop qui défend une économie circulaire du vélo et considère des « biclous » destinés à la déchetterie comme des ressources. Enfin, Nouvelle attitude, une entreprise qui réhabilite des vélos de facteurs pour les proposer au grand public. Ambition affichée de la ville : devenir un pôle majeur de l’économie du vélo dans le Grand Ouest. Et Pony, évoquée ci-contre, devrait installer son centre de maintenance dans la zone.

 résorption des points noirs cyclistes. Dans son bilan de mi-mandat, l’équipe municipale fait la liste : interdiction des voitures sur le pont Wilson, aménagements sur le boulevard Heurteloup en 2020, sur le pont Napoléon en 2021 et le giratoire Saint-Sauveur réaménagé à la « néerlandaise » en 2022. Un aménagement et des évolutions visibles : le trafic cycliste a augmenté de 30 % sur le pont Wilson depuis son interdiction aux voitures. Mais l’objectif d’atteindre les 9 % des déplacements à vélo en 2023, fixé par le plan de déplacements urbains de l’agglomération tourangelle de 2013, n’est pas atteint.

« Sur le vélo, nous ne sommes pas en avance », concède Emmanuel Denis, maire de Tours et vice-président de la métropole pour laquelle il est délégué aux transports et aux mobilités douces. Pour inciter les Tourangeaux à monter en selle, la municipalité veut que les nouveaux itinéraires soient plus agréables et plus sécurisés. Elle compte aussi poursuivre l’installation d’arceaux vélos, qui poussent comme des champignons à chaque coin de rue : plus d’un millier installés depuis 2020. Et puis il y a l’aménagement de pistes cyclables et de vélorues*.

​Dans la rue d’Entraigues, transformée en vélorue depuis août 2022, les cyclistes peuvent circuler dans les deux sens, contrairement aux automobilistes, contraints à faire des détours. Photos : Laura Blairet/EPJT

La vélorue, les élus n’ont que ce mot à la bouche. Testé depuis août 2022 sur la rue d’Entraigues, ce dispositif est très souvent présenté comme une réussite. « Ça ne coûte pas cher à mettre en place, ça permet de garder des places de stationnement et la circulation est apaisée », se félicite Armelle Gallot-Lavallée.

Pour l’adjointe en charge du plan vélo à la ville de Tours, l’objectif sera atteint lorsque les bicyclettes cohabiteront sans problèmes avec les autres véhicules. Rue d’Entraigues, des sens interdits empêchent les véhicules motorisés d’emprunter la rue sur la totalité de son parcours. Les vélos, eux, sont libres de leurs allers et venues.

Martin Cohen, adjoint en charge de la Transition écologique, retient un indicateur révélateur de l’efficacité du dispositif : « On y voit des enfants ». Et d’illustrer par son propre exemple : « Maintenant, j’emmène ma fille à vélo jusqu’au centre-ville parce qu’il y a des infrastructures et on se sent en sécurité. »

Même si la circulation est modifiée, toutes les maisons sont desservies en voiture. « Mais ce n’est pas la panacée non plus parce que le trafic est reporté sur les rues adjacentes, souligne Emmanuel Denis. Il faut bien étudier le terrain en amont. »

Sur le vélo, l’édile promet des investissements financiers importants. « À l’échelle de la ville, nous avons mis 5 millions d’euros sur la table en 2023 pour le vélo, assure-t-il. Nous en mettrons 10 en 2024 et 20 en 2025. »

Au niveau de la métropole aussi les investissements affluent : au total, les cinq nouveaux itinéraires cyclables, soumis cet hiver à concertation, devraient coûter 59 millions d’euros.

Infographie : Laura Blairet/EPJT

Un investissement pris en charge par Tours Métropole Val-de-Loire avec des subventions de la région, de l’État et de l’Europe.

En centre-ville, le début des travaux est annoncé pour la mi-mai 2024 avec l’aménagement d’une piste cyclable à double-sens dans les rues Constantine et Marceau, qui relient la Loire au boulevard Béranger. De l’autre côté de la rue Nationale, certaines rues, notamment autour de l’Opéra de Tours, deviendront des vélorues. En contrepartie de ces itinéraires plus sécurisés, la rue Nationale sera interdite au cyclistes pour y privilégier les piétons et les lignes de tramway.

Mais les aménagements ne sont pas forcément suffisants pour développer la pratique de la bicyclette. La place du vélo doit aussi être intériorisée et mieux acceptée. « Nous avons notre place dans la ville. Faire du vélo, c’est aussi être sûr de soi », affirme Armelle Gallot-Lavallée, l’adjointe en charge du plan vélo, elle-même cycliste.

Réalisé par Laura Blairet/EPJT et Maël Prevost/EPJT

« Il y a quand même un risque de se faire engueuler à chaque fois », ajoute Martin Cohen, adjoint à Transition écologique. Lui-même a été déjà confronté, à plusieurs reprises, à des automobilistes. La municipalité souhaite donc faire évoluer les mentalités : « La ville a un rôle à jouer pour réexpliquer les règles générales et les règles de respect des autres usagers. C’est important qu’un code de la rue puisse sortir rapidement. » L’élu assure que ce manuel pourrait voir le jour courant 2024.

Si la municipalité organise des journées de sensibilisation, elle assume déléguer une partie de la prévention aux associations et aux collectifs qu’elle subventionne, comme le CC37. « Nous faisons partie d’un système vélo », assure Fabien Frugier, chargé de développement à l’association.

Les entreprises spécialisées dans le domaine (voire encadrés), les ateliers de réparation et les revendeurs complètent le maillage déjà existant avec la vélo-école du CC37. Les dernières gouttes d’huile sont en train d’être ajoutées au système vélo qui ne demande qu’à prendre de la vitesse.