“Qu’il vente, qu’il neige,

je ramasse vos ordures”

Cyril Geniau, agent de propreté urbaine, collecte les déchets dans les rues de Tours.

Nous les croisons tous les jours, ils sont indispensables à notre société. Mais les agents de propreté urbaine manquent de reconnaissance : incivilités et douleurs physiques, rien ne les épargne. La collecte de déchets dans les rues tourangelles n’est pas de tout repos.

Par Paul Boyer (texte et photos)

La place Jean-Jaurès est déserte. La lune est pleine, la pluie tombe à n’en plus finir. Les derniers fêtards s’engouffrent dans le tramway. En ce soir d’automne, comme tous les samedis, Moustache est de service pour la collecte des déchets.

Ce surnom, Janick Baranger le doit à sa grande moustache blanche. Doyen de l’équipe du week-end, cet homme au physique imposant compte ses années de service : « Cela fait trente-quatre ans que je conduis des bennes pour la collecte des déchets. »

Janick Baranger est chauffeur pour la collecte depuis trente-quatre ans. Plus ancien du groupe, ses collègues l’appellent « Moustache ».

Le secteur de son équipe compte le centre-ville mais également Saint-Genou, La Riche et Saint-Pierre-des-Corps. Moustache est au volant du camion, Cyril Geniau et Georges Scrofani sont les « ripeurs ». C’est ainsi qu’on appelle ceux qui vident les poubelles dans la benne, à l’arrière du camion. Leur travail est extrêmement physique : ils montent et descendent en permanence sur le cale-pied situé à plus de 30 centimètres du sol, vont chercher les poubelles, les accrochent au camion… Se baissent pour ramasser ce qui traîne. Et tout cela sans ralentir.

« Certains ne tiennent pas le choc », reconnaît Janick. Les accidents de travail sont fréquents. Des risques souvent tus par la direction. Un de leurs collègues est tombé dans le coma en novembre 2019. « Il a fait un malaise lors de la tournée de la semaine. Il est tombé d’un coup puis sa tête a cogné le trottoir », soupire Janick.

Une caméra de recul est présente à l’arrière du véhicule afin d’éviter tout risque de blessure physique pour les ripeurs.
Ici, un écran est situé à côté du chauffeur.

Chaque samedi, au milieu de la collecte, les éboueurs s’accordent une pause café-calvados dans un bar de la ville. La pause est de courte durée, quelques rires avec le serveur, une tape sur l’épaule, et l’équipe reprend déjà la route.

Si les douleurs et les risques physiques ont un impact sur le mental de l’équipe, ce ne sont pas leurs seules peines. Les incivilités sont quotidiennes : poubelles mal remplies ou renversée, ordures ménagères sans sac.

La pluie continue de tomber. Rue Colbert, les déchets s’entassent devant les bars et les restaurants. « C’est tous les week-ends le même scénario… Les commerçants ne respectent pas les normes. Ils foutent leurs déchets en vrac en se disant qu’on va faire le sale boulot ».

Rue de Bordeaux, boulevard Béranger, rue Grammont… la collecte continue du côté de la place Plumereau. À l’avant du camion, Moustache montre d’un air dépité les déchets entassés sur la chaussée. « Les gens ne respectent rien. On leur met des poubelles et des bennes partout. Mais, rien à faire. Les sacs sont entassés les uns sur les autres. »

De par leur contrat, les éboueurs ne sont pas tenus de ramasser les ordures en dehors des lieux indiqués – poubelles, conteneurs – mais leur conscience professionnelle les pousse à nettoyer. « C’est immonde, les gens ne se respectent pas eux-mêmes. Mais, bon, si on ne le fait pas, qui va le faire ? » grommèle Moustache.

Cyril Geniau et Georges Scrofani collectent les ordures à la Foire de Tours.

La benne de 12 tonnes est enfin pleine. Direction le dépôt situé à La Grange-David. Vingt-mille tonnes de déchets peuvent être jetés dans ce centre de tri de La Riche. Le camion passe au pesage : « Onze tonnes ! » La limite est fixée à 12. « On est bon », crie Moustache.

Les ordures sont déversées dans une grande benne broyeuse puis partent à l’enfouissement à Sonzay. Richard Bejeault, responsable du service week-end, supervise les collectes du département d’Indre-et-Loire.

Son service lutte depuis des années contre les dépôts sauvages de déchets. Une mission partagée avec les « ambassadeurs du tri sélectif » de Tours qui sensibilisent les habitants au tri des déchets. C’est insuffisant.

En 2018, une brigade verte a été mise en place. Celle-ci verbalise des jets de mégots, de chewing-gum, de papiers, les déjections canines ou encore les dépôts d’encombrants sur la voie publique dans le centre-ville.

Cyril Geniau se change dans les vestiaires du dépôt car il pleut en continu à l’extérieur.

Les éboueurs sont nécessaires et d’utilité publique, mais ils restent déconsidérés par la société. « Nous sommes en bas de l’échelle sociale. Pourtant, dès que nous faisons grève pendant plus d’une journée, c’est la panique dans les rues car les déchets s’entassent », souffle Jannick.

De reconnaissance, ils n’en ont aucune. « Certains daignent nous dire bonjour. Mais la plupart klaxonnent en criant “on bosse nous !” Et moi ! Je fais quoi ? Qu’il vente, qu’il neige je ramasse vos ordures depuis plus de vingt ans », poursuit-il.

Seul réconfort pour lui : le salaire. « Avec une paie d’environ 1 700 euros net par mois en moyenne, on arrive à remplir le réfrigérateur. »

La longue matinée des éboueurs touche à sa fin. La pause sera de courte durée. Dès le lendemains, aux premières lueurs de l’aube,  Moustache, Cyril et Georges seront de retour dans les rues tourangelles.

Paul Boyer

@BoyerPaul8
23 ans
Etudiant en Master de journalisme à l’EPJT
Passionné par le Moyen-Orient
et les reportages au long cours
.
Passé par Europe 1, Le Figaro
et La Nouvelle République du Centre Ouest.