Amer anniversaire

En 2017, le Canada a fêté son 150e anniversaire. De Montréal à Vancouver en passant par Ottawa, le pays a célébré sa naissance à travers des milliers d’événements. Mais du côté des communautés autochtones, la fondation de la nation canadienne est plutôt synonyme de génocide culturel et de vol des terres. Dans la réserve indienne des Six Nations, l’ambiance est tendue et les inégalités persistent.

Par Laura BANNIER, à Brantford

Au premier abord, on se croit dans une ville canadienne comme toutes les autres. On trouve un Tim Hortons, célèbre chaîne de café, une banque, RBC Royal, une station de police, des écoles… Mais, quand on se promène dans le centre-ville, on se rend compte que les bâtiments sont neufs, comme s’ils venaient de sortir de terre. Autour, des champs à perte de vue, les maisons se font rares et les passants plus encore.

Cette ville toute neuve, située au sud de l’Ontario, à une heure de Toronto, est en fait la plus grande réserve indienne du Canada. Les Six Nations de la Grande Rivière est une communauté autochtone composée de six tribus. Elle regroupe 26 000 personnes. La moitié d’entre elles ont fait le choix de vivre dans la réserve. La ville la plus proche, Brantford, est située à vingt-cinq minutes de route.

L’aspect neuf qui déroute le visiteur s’explique par les récents investissements du gouvernement de Justin Trudeau pour les communautés autochtones. Durant sa campagne, en 2015, le Premier ministre a multiplié les promesses à l’égard des premières nations (autre appellation des Autochtones). Parmi celles-ci, un meilleur accès à une éducation de qualité, de nouvelles usines de traitement d’eau et des logements. Les réserves ont alors bénéficié de financements qui leur ont permis de moderniser leurs centres urbains.

Si à l’arrivée des colons européens, les Autochtones sont présents sur tout le territoire, aujourd’hui, leurs réserves ne représentent plus que 2 % du pays. Les Six Nations n’ont pas toujours habité les terres qui leur ont été assignées. au XVIIe siècle, elles ne sont que cinq. Toutes d’origine Iroquoise et venant de l’Etat de New York. Elles se sont réunies pour réduire leurs querelles et unir leurs forces.

Au début du XVIIIe siècle, les Tuscaroras fuient leurs terres en Caroline du Nord colonisées par les Anglais et demandent à rejoindre le groupe. Dès lors, la communauté regroupe les tribus suivantes : Mohawk, Cayuga, Onondaga, Oneida, Seneca et, bien sûr, Tuscarora. En 1784-1785, la communauté entreprend un voyage jusqu’à la Grande Rivière.  Elle signe avec les colons le décret « Haldiman Proclamation ». La communauté des Six Nations devient alors propriétaire de 3 844 kilomètres carrés de terre. Aujourd’hui, d’après le conseil, seulement 194 kilomètres carrés sont encore en leur possession.

 

Des inégalités qui persistent

Dans les écoles de la réserve, les enseignants mettent l’accent sur l’apprentissage de l’histoire. La vraie. Pas celle édulcorée telle qu’enseignée dans les écoles ontariennes. Celle-ci omet trop souvent le génocide culturel dont les populations autochtones se disent avoir été victimes.

De 1820 à 1996, les enfants autochtones sont envoyés dans les écoles résidentielles. Ce système d’éducation publique à destination des Amérindiens avait pour but d’évangéliser et d’assimiler les enfants. Cette pratique de séparation a souvent été décrite comme le fait de vouloir « tuer l’indien dans l’enfant ».

À deux pas du centre-ville, se trouve l’école Polytechnique. Cet établissement regroupe un lycée et une université. Plusieurs programmes sont proposés sur le campus, de l’éducation à l’étude des langues indigènes. L’odeur de la peinture emplit encore le bâtiment. Sur les murs des longs couloirs qui mènent à la bibliothèque, des œuvres d’art indigènes sont affichées.

Une fois passé l’accueil, en longeant le couloir principal, on arrive au Centre pour les connaissances autochtones. Cette pièce dédiée à la culture des Six Nations fait partie intégrante de l’école. Taylor Gibson y est chercheur. Cet homme de 30 ans a passé son enfance dans la réserve des Six Nations. « Grandir ici dans les années quatre-vingt-dix n’a pas été facile. On devait aller dehors pour aller aux toilettes car il n’y avait pas d’eau courante. Les routes étaient vieilles et sales. On devait dormir tous ensemble l’hiver car il faisait trop froid », se souvient-il. Des souvenirs douloureux.

Taylor Gibson est chercheur au Centre pour les connaissances autochtones, où sont exposée des ceintures à base de coquillages. Ici, il tient la ceinture de l’amitié. Le blanc représente un fleuve, et les deux traits bleus représentent deux canoës, celui des colons et celui des Premières Nations. Cette ceinture est un symbole de respect et d’un futur commun.
Pourtant, à quelques kilomètres de là, la ville de Brantford était, elle, parfaitement équipée. Pour Taylor Gibson, l’histoire du Canada n’est pas assez expliquée et les professeurs pas assez compétents. Il faudrait des enseignants issus de communautés autochtones afin qu’ils puissent exprimer leur point de vue.

La réalité évoquée par l’universitaire perdure aujourd’hui. Ici, dans certaines maisons, il n’y a toujours pas l’eau courante. Les inégalités n’ont pas disparu. Le gouvernement de Justin Trudeau fait pourtant des efforts pour répondre aux demandes des communautés indigènes. Une Commission de la vérité et de la réconciliation (Truth and Reconciliation Commission) a été créée pour tenter de remédier aux problèmes des Premières Nations. En décembre 2015, elle a publié un document intitulé 94 appels à l’action. On peut y lire des suggestions pour lutter contre les inégalités dans plusieurs domaines : santé, éducation, chômage… Pour Taylor, beaucoup de choses restent à changer. « Les indigènes sont fatigués de vivre comme ça. On veut être sur un pied d’égalité », revendique-t-il.

A quelques rues de Polytechnique, dans un café,  un groupe de femmes discute joyeusement. Ici aussi l’art indigène s’affiche fièrement sur les murs. La lumière tamisée crée une atmosphère calme. L’odeur de café fraîchement moulu chatouille les narines. Au fond de la salle, une énorme fresque. Candy Martin, propriétaire des lieux explique : « Dans la réserve, certains hommes ont occupé un terrain pendant plusieurs mois afin de protester contre Canada 150e. Ce tableau les représente. »

Face cette commémoration, les communautés indigènes ont fondé leur propre mouvement, Résistance 150e. Les activistes se sont organisés sur Twitter et le pic des manifestations a été atteint le 1er juillet 2017, lors de la fête nationale.

Le mouvement a servi aux peuples indigènes à réclamer ce qui leur a été volé pendant la colonisation : leurs terres, leur culture, leurs traditions. Sur Twitter, c’est à travers le hashtag #Resistance150 que les Autochtones ont déballé les problèmes auxquels ils doivent faire face dans les réserves.

« Canada 150e est une baffe au visage de notre peuple. C’est comme célébrer le génocide de tout une culture », assure Taylor Martin, la fille de Candy.

La jeune fille se dit atteinte d’un « trouble intergénérationnel ». Elle remue lentement son thé tout en expliquant à mi-voix : « Ma mère n’a jamais pu me transmettre les coutumes et les traditions autochtones car sa mère n’en avait pas le droit. J’ai besoin de retrouver la culture qui a été volée à mon peuple. » C’est l’une des raisons qui l’a poussée à s’inscrire à un cours sur les traditions. Tous les jeudi soirs, elle s’y rend avec sa mère. Une femme âgée, membres des Six Nations, y transmet son savoir. « Ce cours me permet de guérir et de retrouver mes racines », confie la jeune fille.
Magaret Neveau a grandi dans une réserve au nord de l’Ontario. Elle a emménagé dans celle des Six Nations en décembre 2017 après avoir vécu dans la ville de Brantford pendant quelques années. Pour elle, le mouvement Résistance 150e n’a pas donné la parole aux Autochtones. « Résistance 150e a permis à tout le monde de s’engager dans le mouvement. Les Autochtones n’étaient pas seuls car beaucoup d’alliés les ont rejoints », explique-t-elle. Pour elle, le mouvement n’aurait dû accueillir que des personnes issues de communautés indigènes. Mais des Canadiens de toute origine ethnique ont participé.
L’anniversaire du Canada a propulsé la thématique de la réconciliation sur le devant de la scène. La discussion, qui avait été engagée par les 94 appels à l’action, a cependant été vite écartée par les célébrations de Canada 150e. Pour Rachel Simon, conseillère des élèves indigènes à l’université Wilfrid-Laurier à Brantford, la réconciliation est nécessaire. Mais elle doit venir des personnes non-Autochtones : « Je m’imagine un futur dans lequel je suis assise sur le porche de ma maison dans ma réserve. Je raconte à mes petits-enfants l’histoire de ma jeunesse, le racisme dont j’étais victime, les inégalités. Et dans ce futur, mes petits-enfants seront émerveillés car la vie qu’ils connaissent n’a rien à voir avec tout ça.

Candy Martin, la propriétaire du café, ne croit pas, elle, à la réconciliation : « Ils ne peuvent pas se réconcilier avec nous s’ils ne nous rendent pas notre terre. Nous sommes des êtres humains, nous habitons ici », s’énerve-t-elle. Sa fille est moins négative. « Je ne pense pas que cela soit possible dans un futur proche. Cela doit commencer par des conversations que certaines personnes ne veulent pas avoir », explique Taylor. Au Centre des connaissances autochtones, le chercheur Taylor Gibson est, lui, plutôt optimiste : « La première étape est la compréhension. Nous devons mieux expliquer notre histoire à l’ensemble des Canadiens », sourit-il.

Pour lui comme pour beaucoup d’autres, une réconciliation est possible mais la route reste encore longue.

@LauraBannier
21 ans
Etudiante en licence professionnelle presse écrite de l’EPJT
en mobilité au Canada.
A fait un tour aux rédactions de Ouest-France, Le Penthièvre,
La Nouvelle République, RCF et TVSud.
Fan de sport, de photo et de voyage.
Se destine à la presse écrite et en ligne,
tout en espérant rester au Canada.