Si l’amour n’a pas d’âge, le trouver non plus. Passé 60 ans, les seniors sont de plus en plus nombreux à le chercher ou à tenter de le retrouver. Mais, comme à tout âge, les nouvelles idylles ne vont pas sans difficultés.

Par Théo Caubel, Mathilde Errard et Lucie Martin,

« Je viens d’abord pour danser, mais c’est encore mieux si je tombe sur la bonne personne, s’il y a un flash, un coup de foudre », explique en souriant Claudette, sexagénaire divorcée. Comme une centaine d’autres retraités, elle vient régulièrement à la guinguette de Vallères, en Indre-et-Loire. On y fait la fête, on y danse et on y flirte.

Sur le parking de la salle des fêtes, la température ne dépasse pas les 10 °C. Mais à l’intérieur, il fait chaud. Les vitres sont embuées. La piste de danse est pleine et les danseurs sont en sueur. Ils sont une cinquantaine à tournoyer au son d’une valse ou à se déhancher sur un rock. Tout le monde s’est mis sur son 31 : les hommes ont revêtu leur plus belle chemise tandis que les femmes ont sorti leur robe à paillettes, à franges ou à volants. Avec, bien sûr, les escarpins de danse de salon.

« La danse invite à la proximité, explique Claudette. Après, certains hommes nous invitent à boire un verre. Nous discutons… et plus si affinités. » Elle a vu de nombreux couples se faire et se défaire dans cette salle. Peu ont duré. « Ici, tout le monde se connaît à force de se côtoyer. Les gens sont catalogués. Nous savons qui est là pour la drague ou pour une aventure ou pour la danse », témoigne Jean-Claude, 75 ans.

« Le problème ? C’est trop frivole, explique une des participantes. Les hommes ne cherchent pas du sérieux. Ils veulent juste nous mettre dans leur lit. » Jean-Yves, 78 ans, est un ancien Don Juan et il ne le cache pas. Lorsqu’il a passé le cap de la soixantaine, il a fait le tour des thés dansants avec son camping-car. « Le tout premier était à Bordeaux, se souvient-il. J’ai rencontré une dame et aller hop, je me suis retrouvé dans son lit. Dès que ça marchait avec une femme, nous finissions la soirée ensemble, dans mon camping-car. » Un moyen pour lui de profiter enfin de la vie une fois à la retraite et de se sentir jeune, à nouveau.

« La danse invite à la proximité », raconte un des danseurs à la guinguette de Vallères. Photo : Lucie Martin/EPJT
De plus en plus de retraités ne s’interdisent plus de retrouver l’amour et de commencer une nouvelle histoire. En 2013, 57 % des plus de 70 ans estimaient qu’ils pouvaient encore refaire leur vie, selon un sondage Via Voice commandé par le ministère des Affaires sociales en charge des personnes âgées. Longtemps, on n’imaginait pas que nos aînés puissent retrouver l’amour. Aujourd’hui, la retraite peut être synonyme de renouveau. Les seniors en profitent pour multiplier leurs loisirs et faire de nouvelles rencontres, qu’ils soient en couple, célibataires endurcis, divorcés ou veufs.

C’est ainsi qu’Annie¹ s’est inscrite dans un club de randonnée en Indre-et-Loire où elle a rencontré Pierre¹, lui aussi retraité. Nous sommes en 2013. Chacun est marié de son côté, mais leurs couples battent de l’aile. Entre Pierre et sa deuxième femme, le courant ne passe plus et il souhaite divorcer. Annie, de son côté, ne reconnaît plus son mari, après quarante-sept ans de vie commune. « Quand il rentrait de ses déplacements professionnels, j’avais la boule au ventre. Il n’y avait plus rien. C’était mort entre nous. Et lorsqu’une personne remet de la joie dans une vie, ça fait du bien, dit-elle en regardant Pierre, assis à sa droite, à la table de leur salle à manger. On oublie qu’on a 65 ans. Je me suis dit qu’il fallait peut-être que je pense à moi. »

Le rapprochement n’est pas immédiat mais Pierre est un peu le pitre du club et il fait beaucoup rire Annie. « À force de boire des verres et de se raconter nos vies, nous nous sommes attachés. Nous pensions tous les deux que changer de vie était peut-être possible. » Cela fait deux ans qu’ils se connaissent. Elle décide de demander le divorce.

En dix ans, les divorces d’hommes et femmes âgés de 60 ans et plus ont augmenté de 75 %

De plus en plus de seniors comme Annie sautent le pas une fois à la retraite. Tantôt rêvé, tantôt redouté, le départ de la vie active est un défi à relever pour de nombreux couples et parfois la cause des divorces : les époux, qui se voyaient le matin et le soir après le travail, vivent ensemble pratiquement toute la journée ; les enfants ont quitté le domicile… le face à face peut s’avérer redoutable. En France, en 2014, 22 771 hommes et femmes âgés de 60 ans et plus ont divorcé, contre 12 958 en 2004.

Les enquêteurs de l’université de Padoue, en Italie, ont observé que la moitié des femmes souffrent d’un syndrome « du conjoint retraité ». En bref, elles vivent mal le passage à la retraite de leur conjoint. Ce phénomène toucherait davantage les femmes au foyer et celles qui travaillent à leur domicile. Elles voient dans l’inactivité de leur conjoint un empiétement sur leur espace personnel. De plus, le modèle de la famille a évolué. « À la base, je pensais être la femme d’un seul homme, explique Annie. Par rapport au modèle de mes parents, c’était important d’avoir un seul foyer uni, une famille, des petits-enfants… J’avais construit ça. »

 

La nouvelle génération des seniors est celle des baby-boomers, celle qui a vu et fait bouger les lignes, qui a connu l’émancipation sexuelle des années soixante et qui est aussi plus indépendante. Les femmes ont travaillé, elles dépendent moins financièrement de leur mari. « Avant, la logique était d’attendre que ça passe une fois à la retraite. Aujourd’hui, cette période arrive à l’après-midi de la vie : les seniors y voient un temps pour réaliser leurs envies. Untel va se mettre à la peinture, tel autre va divorcer. La majorité des hommes et des femmes qui ont travaillé savent qu’ils pourront s’en sortir financièrement avec une seule retraite », explique Serge Guérin, sociologue et spécialiste des seniors dans une interview donnée au Parisien.

Aujourd’hui, une femme retraitée de 60 ans a encore vingt-cinq ans à vivre en moyenne, le temps de retrouver l’amour ou un nouveau compagnon. Claudette n’a rencontré qu’une seule personne dans les thés dansants, une relation qui n’a duré que deux mois. Pour multiplier ses chances, elle s’est inscrite sur un site de rencontre, comme une personne de plus de 50 ans sur trois, selon une étude de l’institut Ipsos de 2015. Depuis cinq ans environ, ces sites spécialisés pour les seniors fleurissent sur la Toile, à grand renfort de publicités diffusées sur France 3 entre « Des chiffres et des lettres » et « Questions pour un champion ».

C’est ce qui a poussé, Yvette, 65 ans, à s’inscrire sur Disons Demain, lancé par Meetic en mai 2017. « Je voulais élargir mon cercle d’amis car ce n’est pas évident de rencontrer des gens quand nous ne travaillons plus. J’avais pris le forfait de trois mois, fin août. Je me suis dit, “tiens, pourquoi pas essayer”. » Elle s’est vite rendue compte que le principe des sites de rencontre ne lui correspondait pas. « J’avais l’impression de faire mon marché parmi les profils. Certains hommes étaient très corrects, mais d’autres m’abordaient de cette façon : “Salut tu vas bien, tu me plais j’aimerais bien te rencontrer”, raconte-elle, désabusée. Dans ces cas-là, soit je ne répondais pas, soit je disais que j’habitais trop loin. » Le site était devenu un sujet de plaisanteries avec ses amis. À la fin de son abonnement, elle ne l’a pas renouvelé.

Les sites de rencontres : une mine d’or à exploiter

« Lancer un site spécialisé pour les seniors était indispensable », se souvient Stéphane Tondusson. Il a cofondé le site de rencontres Proximeety pour tout âge en 2011. « Nous recevions des messages de seniors qui tombaient sur des jeunes biens gentils, mais qui leur parlaient en langage SMS. La communication ne passaient pas. Les attentes des trentenaires ne sont pas les mêmes que celles des sexagénaires. » Quelques années après, l’équipe décide de lancer une branche pour les plus de 50 ans. En 2013, les plus de 50 ans représenteraient 9 millions de célibataires sur les 25 que compte la France, selon une étude d’Eurostat. Mais « le marché était encore sous-exploité car considéré comme moins glamour. C’est pourtant un marché qualitatif : les seniors sont relativement plus sérieux que les jeunes et remplissent mieux leur profil par exemple. » Aujourd’hui son site spécialisé pour les seniors compte plus de 50 000 inscrits.

Pour d’autres, l’expérience a été plus concluante, comme Guy, 78 ans, habitant près de Sanary-sur-Mer, ville côtière du Var. Sergio, son voisin, a joué les cupidons pour lui. Il raconte : « Un jour, Guy vient me voir en disant : ”J’en ai marre d’être seul.” Il fréquentait un club de bridge mais il n’y rencontrait que des personnes plus âgées, pas son âme sœur. » Sergio lui conseille de passer par Internet. Il l’aide à remplir son profil sur un site de rencontre. Guy joue le jeu : il se laisse prendre en photo dans son jardin et en faisant la cuisine. Les rendez-vous s’enchaînent mais les femmes rencontrées souhaitent un ami, un copain pour voyager et rien de plus. « Guy était encore en forme et affichait clairement que le sexe était le plus important pour lui », assure Sergio.

D’autres préfèrent frapper aux portes des agences matrimoniales pour être mis en relation avec des célibataires de leur âge et de leur région. Dans l’agence Unicis, le téléphone de Danièle Mereau, la responsable, n’arrêtent pas de sonner. Ici les plus de 60 ans représentent 20 à 25 % de la clientèle. « Je reçois pas mal d’appels de quadragénaires qui inscrivent leurs parents pour briser leur solitude. » Certains de ses clients n’assument pas le fait de passer par une agence pour trouver l’amour. Un monsieur lui a même confié que personne n’était au courant de sa démarche.

Les “jeunes” couples de seniors retrouvent une seconde jeunesse avec leur nouveau compagnon. Photo : Lucie Martin/EPJT
Dans l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) des Trois-Chemins, dans la Vienne, Cupidon a touché les cœurs de Simone et Maurice² qui ne pensaient plus retrouver l’amour.

Cette femme de 88 ans aux cheveux courts et blancs, a un coup de foudre pour Maurice, 85 ans. S’ensuivent quelques balades et discussions. Rapidement, ils tombent sous le charme l’un de l’autre. Ils passent du vouvoiement au tutoiement avant d’échanger leurs premiers baisers. « Au début, nous étions incrédules. Compte tenu de notre âge avancé, je ne pensais pas pouvoir être ému à ce point-là », se souvient Maurice. Une seconde jeunesse inattendue que ni l’un ni l’autre n’avait imaginée en arrivant à l’Ehpad. Quelques mois à peine avant son entrée dans la résidence, Maurice avait perdu sa femme avec qui il avait partagé toute sa vie et eu un enfant. Quant à Simone, elle gardait le souvenir d’un premier mari coureur de jupons et d’un second, violent et alcoolique. « Je n’ai jamais été aussi heureuse qu’aujourd’hui », déclare-t-elle avec émotion.

À 30 ans, le travail, l’achat d’une maison, les enfants font partie des projets d’une vie à deux. Mais passé 60 ans, quels sont les fondements d’un couple ? Simone et Maurice n’ont qu’un leitmotiv : vivre au jour le jour. Un seul couloir sépare leur chambre. Ils essaient de passer le plus de temps possible ensemble : du matin, lors de la lecture de la presse, au soir, devant le poste télévision. « L’avenir est limité. Nous ne pouvons pas faire de projets sur la durée, déplore-il. C’est assez limité comme perspective, mais les sentiments comblent ce vide. »

Au bord du lac de Chançay, en Indre-et-Loire, Daniel et Colette, la soixantaine, sont levés depuis 5 h 30 pour pêcher la truite. Elle est emmitouflée dans un coupe-vent noir et son bonnet est visé sur sa tête. Lui, bob vissé sur la tête, lunettes embuées par le temps humide, guette sa ligne et se protège du froid comme il peut. « Ce qui nous lie, ce sont nos activités », commence Colette, assise au bord d’une table de pique-nique. Elle détaille leur emploi du temps, chargé : « Nous allons randonner deux fois par semaine, nous tenons la billetterie du cinéma de notre commune tous les quinze jours, pour le comité des fêtes. Et toi, Daniel, tu es à la mairie », énumère-t-elle en regardant son compagnon dont le tabouret qui s’enfonce dans la boue.

Ils se sont rencontrés dans le club de randonnée de Notre-Dame-d’Oé, il y a sept ans. « Des points communs ? réfléchit Daniel. Pas vraiment. Nous serions presque opposés dans pas mal de domaines. Mais comme on dit, les opposés s’attirent et nous sommes complémentaires. Je suis plus calme et toi, tu as tout le temps besoin de bouger et de faire une bricole à la maison. » Colette réplique : « Quand nous serons morts, nous aurons le temps de dormir. » « Nous sommes à la retraite, donc il ne nous reste plus que les loisirs pour nous occuper », résume-t-il.

Ils ont décidé de vivre ensemble la majeure partie de l’année dans la grande maison de Daniel. Mais Colette préfère garder son appartement à côté car elle s’y sent mieux. « C’est aussi une sécurité, car ma maison sera la propriété de mes enfants si je décède, explique Daniel. Et elle se retrouverait sans logement. »
Les souvenirs accumulés sur les murs et dans les meubles des maisons sont parfois impossibles à quitter. Certaines femmes, comme Colette, veulent garder leur toit pour rester indépendante. Vincent Caradec, sociologue à l’université de Lille, a observé ce besoin d’indépendance chez certains seniors dans son livre, Vieillir après la retraite, approche sociologique du vieillissement (2004). Ces nouveaux couples ont le « désir de préserver leur autonomie, une certaine liberté, surtout les femmes. Elles veulent garder leurs activités quotidiennes qui ont rythmé leur vie pendant longtemps, comme leurs habitudes dans un quartier, le médecin, le voisinage, etc. ».  

Françoise, 61 ans et Pascal, 68 ans, se sont rencontrés à la guinguette de Vallères. C’est d’un commun accord qu’ils ont décidé de vivre un jour chez l’un, un jour chez l’autre. Et parfois, ils restent chacun de leur côté. Ils préfèrent partager des activités qu’ils aiment plutôt que les tâches quotidiennes comme les courses, le ménage, qui peuvent rapidement être ennuyeuses. Claudette ne dira pas le contraire, elle cherche un homme uniquement « pour faire des voyages, sortir ensemble », pas plus. Elle a fréquenté un danseur, rencontré lui aussi à la guinguette de Vallères. Deux mois après, elle rompait : son désir d’indépendance était plus fort. « Je n’aime pas trop qu’on empiète sur ma vie, affirme-t-elle. Il était trop présent. Je ne voulais pas qu’il me voit dans mon pyjama trop moche », avoue-t-elle dans un éclat de rire.

Quant à la sexualité au sein du couple, si elle n’a pas la même place à 60 ans qu’à 20 ans, elle existe néanmoins et reste importante. Dans son cabinet à Chambray-lès-Tours, la sexologue Patricia Bourget constate que les plus de 60 ans s’interrogent de plus en plus. Certains viennent la voir après des années de relations. D’autres viennent de se rencontrer. Ils veulent mettre des mots sur leur vie sexuelle. « La génération des gens vieillissants est différente que celle de nos aînés, analyse-t-elle. Leur sexualité n’est pas aussi taboue qu’il y a quelques décennies. »

Si le désir traverse les âges, la sexualité des seniors évolue. « Les corps sont vieillissants. Ils vont être moins fougueux. Ils vont avoir une sexualité moins pénétrante. La sensualité sera plus importante, comme les caresses. Ils se donnent plus de temps », indique-t-elle.

La place du « faire l’amour » dans l’amour diminue. « C’est descendu dans mes priorités, ressent Pierre. Nous sommes plus câlins, plus tactiles que les jeunes en couple, complète Annie. C’est ça qui est important à notre âge. » Lorsque les corps vieillissent, le rapport sexuel peut aussi devenir impossible. Est-ce l’amour platonique pour autant ? Maurice ne cache pas sa frustration de ne pas pouvoir prouver ses sentiments à Simone par ce biais. « Si le corps ne suit peut-être plus, c’est une grande satisfaction de savoir que le cœur, lui, reste toujours aussi jeune », se réconforte-il.

La pêche est une des nombreuses activités que Colette et Daniel, en couple depuis six ans, aiment partager. Photo : Lucie Martin/EPJT
Ces nouvelles idylles ne sont pas toujours faciles à faire accepter par l’entourage. À commencer par les enfants. Qu’ils aient 20 ou 40 ans, ils peuvent avoir du mal à se faire à l’idée que l’un de leurs parents fréquente une autre personne. Cela peut être encore plus difficile à vivre lorsque l’autre membre du couple est décédé. Maurice, à l’Ehpad aux Trois-Moutiers, est dans cette situation. Sa fille ne comprend pas. « Évoquer ma relation avec Simone est interdit. D’ailleurs, elle ne l’a rencontrée qu’une fois et, depuis, elle ne veut plus avoir affaire à elle. » Au contraire, pour la fille de Simone, c’est un vrai bonheur : « Je la savais déjà en sécurité là-bas mais de savoir que, en plus, elle a une relation qui lui apporte beaucoup de douceur me rend heureuse pour elle. »

Quant à Annie, ses relations avec ses deux filles se sont dégradées suite à son divorce et à son installation avec Pierre. L’aînée a mis un an avant d’accepter de le rencontrer. La seconde, elle, n’a jamais. « J’ai toujours été très fusionnelle avec mes enfants. Nous n’avons jamais eu le moindre mot avant cette histoire-là », regrette Annie. Même son petit-fils, avec qui elle est très proche, a été surpris que ses grands-parents puissent se séparer : «  Mais mamie, on ne divorce pas à 65 ans, merde », a-t-il envoyé par SMS. Si la plupart des membres de sa famille a accepté cette nouvelle relation, elle évite d’aborder le sujet. « Je ne vais plus à la dispute, explique-t-elle. Ça fait trop mal. J’espère que le temps passera dessus mais j’essaie de leur faire comprendre qu’il ne m’en reste plus beaucoup. »

Ces nouvelles relations sous-entendent une activité sexuelle. « Toute sa vie, la mère restera une madone aux yeux de son enfant. Il y a un blocage. On ne pense pas que nos parents peuvent faire l’amour », analyse la sexologue Patricia Bourget. Les histoires dans les Ehpad sont révélatrices de cet état d’esprit. À Tours, une cadre de santé raconte que la fille d’un patient n’a pas accepté que son père ait une liaison avec une résidente. « Monsieur est tombé plusieurs fois du lit de madame », se souvient-elle. En temps normal l’établissement aurait dû prévenir la famille, « mais pour protéger la vie personnelle du patient, nous ne lui avons rien dit. »
Dans tous les Ehpad, les équipes soignantes font attention à respecter l’intimité des couples au sein de leur établissement. « Frapper, attendre quelques secondes, puis entrer » sont les règles de base. Elles sont inscrites dans la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (loi ASV), votée en décembre 2015 : « Les maisons de retraite médicalisées (…) sont à la fois, des lieux de soins et de vie. [Ils] doivent être conçus de manière à mieux intégrer les souhaits de vie privée des résidents, leur intimité et leur vie sexuelle. »

L’Ehpad Varennes de Loire (CCAS), à Tours, avait envisagé de mettre en place des pancartes « ne pas déranger » comme dans les hôtels car un couple formé dans l’établissement s’était fait surprendre à plusieurs reprises. Aujourd’hui, il n’existe pas de formation en interne sur la sexualité mais les soignants peuvent en parler avec le psychologue de l’établissement.

Les écoles d’aides-soignantes abordent maintenant le sujet avec leurs élèves. Margaux est agent de services hospitaliers (ASH) dans l’établissement. Pendant son Bac pro ASSP (accompagnement soins et services de la personne), une à deux heures par semaine étaient consacrées à la sexualité chez les personnes âgées. Mais sa collègue Claire, qui a suivi  sa formation il y a dix-sept ans; se souvient : « On y consacrait tout juste qu’un après-midi… »

Prévention des infections sexuellement transmissibles, pour les seniors aussi

Les seniors se protègent peu. Selon l’enquête VIH Seniors réalisée par Opinion Way pour le laboratoire Janssen en 2014, plus d’un tiers des Français de 50 à 70 ans, qui a eu plusieurs partenaires ces dernières années, n’a jamais mis de préservatifs. Ce chiffre est de 12 % chez les 18-49 ans. En France la prévention cible principalement les jeunes. Pourtant, la sensibilisation est nécessaire. En 2016, un hétérosexuel sur trois avait 50 ans ou plus lorsqu’il découvrait sa séropositivité. Une tendance stable depuis plusieurs années.

La France n’est pas le seul pays concerné par ce phénomène. Aux Etats-Unis, Safer sex 4 seniors s’est emparé du problème. Ce collectif indépendant d’auteurs, d’éducateurs et de chercheurs a lancé une campagne de sensibilisation en mars 2012. Son message : « Il y a pleins de manières de le faire, mais il n’y a qu’une manière de se protéger : le préservatif. »

Safe Sex for Seniors Public Service Announcement from Melanie Davis on Vimeo.

À l’Ehpad des Trois-Chemins, aux Trois-Moutiers, tous les lundis soirs, des petits groupes de parole sont organisés. La sexualité des personnes âgées y est abordée avec tout le personnel. « Ce sont des questions qui continuent d’interroger, voire de heurter nos équipes les plus jeunes, confie Corinne Guérin, cadre de santé. Les histoires entre les résidents, cela ne nous regardent pas, sauf lorsqu’il y a des troubles. Il faut savoir si chaque personne est bien consentante. En ce moment, nous avons un cas délicat : un monsieur alterne entre deux dames. Ils ont tous les trois des troubles différents. Mais en tant que cadre de santé, je ne me vois pas intervenir et décider à leur place. Pourquoi ne ressentiraient-ils plus de désir sexuel en cas de démence ? »

Malgré ces difficultés, certains couples prouvent que ces nouveaux départs après 60 ans sont durables. C’est le cas de Jean, 89 ans, et Léonie³, 83 ans, venus faire quelques pas de danse au bal de Joué-lès-Tours, un jeudi après-midi. Leur histoire a commencé ici, en 2000. Au départ, ils vivaient sous le même toit. Mais aujourd’hui, ils alternent entre deux résidences. La raison ? La pension de réversion. Léonie et Jean sont tous les deux veufs et reçoivent cette somme d’argent qui correspond à une partie de la retraite que touchaient leurs conjoints décédés. En vivant en concubinage, ils pensaient voir leur pension diminuer. « Je ne pouvais pas me permettre de perdre cette somme. C’est une grande partie de mes revenus », affirme-t-elle. La perte ou la diminution de cette pension concerne aussi les couples qui se remarient. Dans Vieillir après la retraite, approche sociologique du vieillissement, le sociologue Vincent Caradec a observé des cas pratiquement similaires. Parmi les seniors veufs qu’il a interrogés, certains affirmaient qu’ils ne pouvaient pas se remarier à cause de la pension de réversion. Dans ces cas-là, en effet, la plupart des régimes de retraite suppriment le versement.

Malgré cet obstacle financier pour les veufs, les seniors sont de plus en plus nombreux à se passer la bague au doigt. En dix ans, le nombre de mariages des plus de 60 ans a augmenté de 63 % selon l’Insee. Ils étaient 13 173 à se marier en 2014 en France, contre 8 300 en 2004. Alors, si l’amour n’a pas d’âge, longue vie aux jeunes mariés.

Les mariages de plus de 60 ans en 2017 en Indre-et-Loire

(1) (2) (3) Les prénoms ont été modifiés.

Théo Caubel

@TheoCaubel
20 ans.
En licence professionnelle à l’EPJT option journalisme radio.
Passé par France Bleu, RCF, Le Courrier de l’Ouest, L’Obs.
Mordu d’actualité. S’intéresse aux nouvelles écritures journalistiques.
Se destine à la radio.

Mathilde Errard

@Mathilde_Errard
21 ans.
En licence pro radio à l’EPJT.
J’aime avant tout le terrain, tendre un micro et plonger l’auditeur dans un petit univers radiophonique le temps d’un reportage. Passionnée par l’actualité internationale, en particulier le monde arabe. Passée par France culture, France bleu Périgord, Sud-Ouest et la réalisation-présentation d’une émission de « Secrets d’info » sur France inter.

Lucie Martin

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22 ans.

En licence pro TV à l’EPJT.
Passionnée de voyages et de photographie.
Passée par TV Sud et 8 Mont Blanc. Envisage de parcourir le monde avec sa caméra pour réaliser des documentaires